STEINBACH Oratoire d’Ifiss

L’oratoire d’Ifiss n’est accessible qu’à pied : 600m à partir du fond de la rue d’Ifiss, une petite rue qui débouche sur la voie de Cernay à Vieux-Thann.

Coordonnées géodésiques : 47 °48’52.99″N 7°08’09.85″E

L’oratoire d’Ifiss est également connu des anciens sous la dénomination de Krafftkapelle (la chapelle de la Krafft).
Ifiss (?) et Krafft (fossé) sont des lieux-dits dans le vignoble de Steinbach.

photo avril 2013
photo avril 2013


L’origine de l’oratoire d’Ifiss n’est pas connue. Il est à la croisée de plusieurs chemins de pélerinage, vers Saint-Thiébaut à Thann, vers Notre Dame de Thierenbach. Il est peut être en rapport avec le proche ermitage de Marie-Madeleine, aujourd’hui disparu. En pareil cas, c’est souvent la légende qui répond à la question.

En effet, une légende (*) rapporte qu’un jeune enfant dénommé Morand avait coupé la langue de quatre oisillons dans un nid.
Plus tard ses quatre fils naquirent muets.
Sur les conseils d’un ermite habitant non loin de là, il fit ériger cet oratoire au lieu-dit « Ifiss »près de la « Krafft ».
Au moment de la consécration de l’oratoire, ses fils retrouvèrent la parole.

Il est à noter que ce bel oratoire détruit pendant les combats de la première guerre mondiale a été reconstruit grâce au Club Vosgien de Cernay en 1927.
Il est entretenu avec soin par la famille S. depuis des dizaines d’années.
Le décor de l’oratoire est régulièrement composé avec des fleurs de saison et en fonction des fêtes religieuses.

photo avril 2013

Voici la légende complète rapportée par A. Eugen Schneider dans l’almanach « Neuer Elsässer Kalender » 1930 pages 59 et 60 et traduite en langue française :

La chapelle de la Krafft

Il y a bien longtemps, alors que les abbés de Murbach vivaient encore au château du Herrenflüh et que les comtes de Ferrette règnaient sur la région, le sympathique petit village de Steinbach coulait des jours paisibles à l’entrée du val d’argent. Les temps d’alors n’étaient pas trop durs; prospérité et bien-être semblaient prévaloir.

Au pied de Hirnelestein vivait un honnête charpentier, Hans Jacob. Il y avait construit une petite maison et coulait des jours heureux avec sa femme et son fils Morand, âgé de 10 ans. Le garçon était intelligent, ardent au labeur et parfaitement obéissant. Mais malheureusement il péchait par sa passion invétérée à tourmenter les animaux. Au village, il n’était ni chien, ni chat qui put se mettre à l’abri de ses actes de cruauté et sa bonne mère devait sans cesse rappeler son Morand à l’ordre. Tout à côté de la maison de Hans Jacob, il y avait une bien pauvre cabane, qui était habitée par Agathe, une pauvre et honnête veuve, avec Marie sa fille âgée de 8 ans.

Les deux familles s’étaient cependant liées d’une profonde amitié et il en allait de même des deux enfants, Marie et Morand. Compagnons de jeux inséparables, tous les deux vivaient dans l’insouciance de la jeunesse. Marie exerçait une grande influence sur l’enfant sauvage, et bien souvent, elle avait réussi à briser dans leur élan ses méchantes envies de torturer les animaux.

Un jour, les enfants allèrent dans la forêt pour chercher des branches mortes de sapin pour leurs parents. La veille déjà, Morand avait raconté à la petite Marie, qu’il avait découvert un nid de pie bien caché dans la forêt de la Krafft, qu’il y avait dans ce nid quatre magnifiques oisillons bientôt prêts à s’envoler et qu’il voulait lui montrer tout cela.
Oh, combien je me réjouis de voir cela, faisait remarquer Marie; mais tu me promets que tu ne feras aucun mal à ces petites bestioles, n’est-ce pas? – Au contraire, répondit Morand, arborant un sourire étrange, je te montrerai quelque chose de très beau!

Les deux enfants s’appliquaient à ramasser les branches de sapin, quand tout à coup Morand s’écria en interpellant Marie : «Viens, regarde par ici! »

Là où le Krafftwald longe le lieu-dit Ifiss et Vieux-Thann, il y avait un vieux chêne creux et dans ses branches se trouvait le nid de pie que Morand entreprit aussitôt de descendre à terre. Regarde, Marie. les quatre mignons petits oiseaux, et sais-tu que si on leur fend la langue, ils se mettent aussitôt à parler? – Ah, mais tu ne feras pas cela, Morand? Infliger une telle torture à ces animaux, parce que s’ils avaient dû être capables de parler, le Bon Dieu s’en serait chargé lui-même. Remets donc ce nid à sa place!
À contrecœur, le garçon obéit, mais pendant que petite Marie était à nouveau occupée à ramasser les branchages, il grimpa prestement jusqu’au nid et avec un couteau tranchant, il fendit la langue des pauvres petits oiseaux. Marie, soupçonnant le méfait, revint sur ses pas, mais ne put qu’assister à l’agonie misérable de ces pauvres petits êtres qui cessèrent de vivre l’un après l’autre.
« Oh, méchant Morand, qu’as-tu fait! dit Marie en pleurant amèrement. Tu verras que Dieu te punira un jour pour cela. »
Les enfants reprirent contrariés le chemin de la maison, et à peine quelques jours plus tard, leurs âmes d’enfant avaient déja oublié le forfait.

Les jours passèrent, les enfants grandirent et Morand devint un homme en âge de se marier, et Marie devint une vaillante jeune fille. Leur amitié d’enfance était restée intacte et maintenant que les parents âgés étaient morts, Morand avait pris en charge l’héritage de son père.

À la demande en mariage qu’il fit à Marie, celle-ci répondit favorablement sans la moindre hésitation. Ils vécurent heureux et pieux pendant le premier temps de leur mariage. Le jeune ménage semblait effectivement protégé par la Providence. Au bout d’une année leur bonheur fut complet quand un petit garçon leur vint au monde. L’enfant était sain et fort et s’épanouissait, mais étrangement, l’on constata vite qu’il restait muet. Devant ce constat, les parents furent saisi par la consternation et l’horreur, mais comme ils craignaient Dieu, ils se résolurent à accepter l’inacceptable.
Il n’en retèrent malheureusement pas là, car dans les années qui suivirent le ciel leur accorda trois autres fils du ciel, tous forts et en bonne santé, mais ils étaient tous frappés de mutisme. Les quatre magnifiques garçons grandirent, mais les parents restaient inconsolables.

À cette époque, un pieux ermite venu de loin, s’était établi dans une humble cabane au pied du rocher du Schletzenburg. Complètement séparé du monde, ce frère, appelé Conrad, s’adonnait à la pharmacologie: il connaissait tous les mélanges d’herbes, pour soulager les maux de la population. Sa grande piété, ses larges connaissances, tout cela, le faisaient considérer comme le bienfaiteur de toute la région, tant pour le bien être du corps que pour celui de l’esprit. Beaucoup avaient trouvé auprès de lui la consolation et le soulagement de leur souffrance.

Morand et sa femme, espéraient aussi trouver un peu de paix et de réconfort par son entremise et un soir, les pas de Morand le poussèrent jusqu’à l’ermitage. Comme l’ermite lui faisait bon accueil, il lui avoua sa terrible souffrance. L’ermite écoutait, attentif et bienveillant. Puis il demanda à Morand de lui relater sa vie par le menu, en commençant par sa plus petite enfance. Morand s’exécuta et au bout d’un moment, il en vint à évoquer l’événement du nid de pie. Le vieil ermite hochait la tête d’un air songeur, puis dità Morand, «Notre Seigneur Dieu est souvent impénétrable dans les dons de sa grâce et de ses épreuves et il n’y a qu’une seule façon pour les hommes de retrouver la paix dans leur cœur, c’est en étant miséricordieux, pieux et en faisant des bonnes œuvres! « Tu sais, Morand, bientôt ce sera la fête patronale de Saint Morand à Steinbach et ce serait bien si tu pouvais ériger une chapelle toute simple en l’honneur des grands saints à l’orée de la Krafft. »

Confiant, Morand promit de prendre l’affaire au sérieux et dans les jours qui suivirent, on put voir Morand et ses garçons, après chaque journée de travail, commencer à transporter des matériaux de construction en direction de la forêt.

Aidés par des voisins courageux, ils se mirent au travail et en peu de temps, une petite chapelle toute simple fut construite. Le vénérable curé félicita chaleureusement Morand et ses aides pour leur travail, et leur promit que la chapelle serait inaugurée lors de la fête de Saint Morand qui était toute proche.

Par un beau dimanche de printemps, la cloche de la chapelle du village retentit, appelant les fidèles à la fête patronale.
L’assemblée écoutait attentivement son vieux curé décrire la vie et l’œuvre du grand Saint.
Quand il leur annonça qu’après la grand-messe toute l’assemblée irait en procession vers la « Krafft » pour procéder à la consécration solennelle de la chapelle, tous les cœurs se réjouirent dans une attente pieuse et joyeuse.
Dès la fin de la grand-messe, la procession s’ébranla en prière fervente et pieuse, en direction de la forêt. Arrivé à la chapelle, le curé la bénit d’une manière simple en peu de mots, mais avec les mots du cœur. Il remercia tous ceux qui avaient contribué à son édification. Il appela en particulier la bénédiction de Dieu sur la famille de Morand tant éprouvée qui avait fait ériger la chapelle. « Que Dieu vous récompense largement, cher Morand, » conclut le curé, et nous allons maintenant entonner l’antique et beau chant d’action de grâces à la Sainte Vierge.
Le Magnificat s’éleva alors puissamment des centaines de gorges et se déversa sur la nature printanière environnante. Morand chantait lui aussi avec ferveur. Mais, à peine les dernières strophes chantées, il se produisit un phénomène qui mit toute l’assistance en émoi. Les quatre garçons de Morand poussaient soudain des cris, comme on n’en avait jamais entendus. C’était un babil, comme celui des enfants à l’âge tendre. Le curé s’approcha des enfants, cherchant à comprendre ce qui se passait. Il ne faisait aucun doute que les enfants commençaient à pouvoir parler. Dieu avait encore une fois montré sa grande bonté. Pleine de gratitude, toute la communauté s’en retourna à l’église du village, où un Te Deum solennel conclut l’heureux événement.
En effet, peu de temps plus tard, les enfants acquirent le plein usage de la parole et le plus grand bonheur règna dans la famille Morand.
Pleine de gratitude, la famille se rendit auprès du vieil ermite du rocher du Schletzenburg pour lui annoncer la bonne nouvelle. En ébauchant un sourire, l’ermite dit «Oui, tu vois, Morand, la volonté de Dieu est souvent impénétrable! Heureux ceux qui marchent dans les pas du Seigneur, car Dieu est juste, dans les moments heureux, comme dans l’adversité. »
Morand et sa famille vécurent heureux jusqu’au soir de leur vie. Leurs enfants grandirent et devinrent des hommes forts. Et en gage de reconnaissance, la famille avait promis de toujours veiller à l’entretien de la chapelle de la Krafft.
La famille a disparu depuis bien longtemps, mais l’oratoire est resté. Malheureusement, un soir d’automne, il devint, lui aussi, une victime de la dernière guerre mondiale. Situé à deux pas de la cote 425, il fut le témoin de la lutte héroïque que se livrèrent le glorieux 152 ème Régiment d’Infanterie et le courageux 15ème Bataillon de Chasseurs. A proximité, un cimetière militaire a été créé pour nos héros. La chapelle fut presque entièrement détruite par les bombardements et resta pratiquement abandonnée à la fin de la guerre. Les anciens combattants qui revinrent plus tard pour visiter leurs positions exprimèrent le souhait que revive la petite chapelle avec laquelle ils partagèrent tant de chagrins et tant de joies. La section du «Club Vosgien de Cernay » s’en fit un devoir d’honneur, et grâce à son initiative, la reconstruction fut achevée à l’été 1927.
Une pieuse famille de Steinbach s’est éprise de ce lieu et entretient désormais le nouveau sanctuaire avec le plus grand soin.
Le randonneur passant par nos belles Vosges ne manquera pas de visiter le légendaire et magnifique sanctuaire au pied du Hirnelestein et il est certain qu’il en gardera un souvenir idyllique.

A. Eugen Schneider